Suite et fin de la chronique en deux volets sur la situation des artistes plasticiens en France - La partie 1 est accessible ici
Je pourrais laisser le constat s’arrêter là, déplorant une situation intenable et en râlant, peut-être même en allant manifester pour crier mon ras-le-bol, mais sans véritable constructivité. Alors je crois qu’après un tel constat, il est nécessaire que je donne mon avis, ou du moins que je tente d’apporter un éclaircissement sur ce qui peut être envisageable pour permettre aux artistes de pouvoir travailler dans des conditions décentes.
J’insiste sur le fait que les éléments que je vais mettre en lumière sont des propositions entendues ici et là qui ont le mérite de lancer le débat sur la situation des artistes plasticiens et même plus généralement sur les artistes tout court. Ils ne constituent pas forcément de solution miracle et peuvent peut-être paraître difficile à mettre en place, mais au moins le débat est lancé.
Proposition n°1 : une intermittence généralisée au secteur de la création.
Le plus gros souci évoqué dans l’article précédent est clairement la manière dont les artistes peuvent vivre les mois où les centres d’art sont fermés, où il est nécessaire de faire des recherches, le fameux temps de création dont les artistes du spectacle ont droit. Cette différence entre artistes plasticiens et artistes du spectacle est clairement inacceptable. Un plasticien peut lui aussi faire valoir des temps de résidence, expositions, ventes d’œuvres, etc… tout comme peut le faire un musicien.
Permettre aux artistes de toucher une allocation d’intermittence, serait reconnaître avant tout que la création plastique n’est pas le fruit de quelques minutes de barbouillage sur une toile. Certains artistes peuvent mettre des années avant de réaliser des pièces, il est nécessaire de leur donner les moyens d’arriver à leurs fins.
Proposition n°2 : un revenu de base inconditionnel
C’est une proposition qui ne concerne pas que les artistes, mais qui est un véritable débat de société (entre autres en Belgique où le pays y réfléchit fortement). Le revenu de base inconditionnel consiste à une allocation fixe distribuée à tous les citoyens majeurs sans aucune distinction. Lorsqu’un individu travaille, le revenu de base lui est retiré petit à petit en fonction de ses revenus mais de telle sorte qu’il y ait toujours un surplus financier. En contrepartie toute forme d’aide sociale complémentaire (APL, chômage, RSA, allocations, etc...) sont supprimées. Cela crée un gain administratif énorme, évite la fraude, l’injustice et les méandres de paperasserie. Les économies administratives sont conséquentes et peuvent - du moins en partie - compenser le surcoût d’une telle allocation.
L’avantage d’un tel système est évident : il permet aux artistes (ou non artistes) d’être libres de prendre le temps de travailler sur une oeuvre sans contraintes financières fortes. C’est un projet extrêmement ambitieux, que je compare volontiers avec la mise en place des congés payés ou des congés maladie au début du XIXème siècle.
Plus de détails : http://fr.slideshare.net/coisnephilippe/26-1212-bruno-monfort-dia
Proposition n°3 : une redevance numérique en faveur du secteur culturel
Chaque foyer équipé d’un accès à Internet devrait payer une dizaine d’euros de redevance (un peu comme la TV) et serait libre de télécharger tout ce qu’il veut en toute légalité. Soit par un système d’échantillons de foyers témoins (comme la TV) soit par un outil d’analyse des tendances de recherche (outils extrêmement précis). L’ensemble de l’argent de la redevance serait réparti aux différents ayants droits ou artistes en fonction des téléchargements. Une réserve (par exemple 10%, le chiffre que j’avance est à titre indicatif) serait reversé équitablement à tout artiste ayant une influence trop faible pour être enregistré dans ces tendances.
Jugé utopique par les ayants droits, c’est maintenant qu’un service ultra-rentable comme Netflix arrive en France que les majors et FAI déclarent que leur bouquet illimité à 10€ va être très prochainement disponible en France…
Cette proposition serait en mesure de satisfaire en partie les ayants droits (oui les grosses majors et autres dinosaures de l’industrie du disque) tout en offrant une manne financière importante aux artistes. C’est un compromis acceptable, mais comme tout compromis il ne fait que reculer l’échéance d’une véritable remise en question de la rémunération des artistes.
Source : http://www.tomshardware.fr/articles/P2P-redevance,1-28405.html
Proposition n°4 : cesser la récession, relancer l’innovation
Sur une logique capitaliste, on ne fait pas remonter un avion qui tombe en coupant les gaz et en vidant le réservoir ! Il sera certes plus léger mais il tombera toujours (juste un peu moins vite). La politique d’austérité, largement calquée sur le système Allemand est une erreur hallucinante de bêtise. Comment l’emploi pourrait-il être relancé si les entreprises doivent se serrer la ceinture ? Comment ces même entreprises pourraient vendre leurs produits si les clients n’ont pas d’argent pour les acheter ?
Pour la culture c’est exactement la même chose. On se plaint que les séries et films américains envahissent notre territoire au dépend des créations françaises. Mais comment les artistes pourraient-ils réaliser ces œuvres s’ils n’ont pas l’argent pour le faire ? Comment concurrencer une série comme House of Cards et ses 110 millions de dollars ? Il faut une volonté d’investissement culturel en France. Notre pays est le territoire des plus grands artistes, le cinéma est né en France, la nouvelle vague aussi, l’impressionnisme, le surréalisme, etc… Il existe dans ce pays une culture, une manne artistique inimitable, il suffit juste de lui donner les moyens d’exister. Et cela passe par des investissements financiers importants. La culture s’exporte bien et rapporte de l’argent, c’est une dépense qui portera ses fruits très rapidement.
Cette proposition ne révolutionne rien sur le fonctionnement de société actuel et je doute qu’il y ait un véritable impact positif sur les artistes. L’avantage est qu’elle est tout à fait envisageable avec un gouvernement de gauche comme de droite, donc applicable pratiquement immédiatement. C’est la proposition la plus simple et rapide à mettre en place actuellement.
Pour aller plus loin : http://www.slate.fr/story/92631/europe-mourir
Proposition n°5 : oublier l’académie et la monétisation artistique
C’est un problème vieux comme le monde. On le sait, l’académie (au sens institution officielle qui reconnaît les artistes) a toujours de nombreuses années de retard en ce qu’il s’agit de reconnaître un travail artistique. On cite souvent le cas de Van Gogh qui n’a été reconnu qu’après sa mort, mais aujourd’hui la situation n’a pas tellement évolué. Les artistes qui proposent des choses vraiment originales ne peuvent pas entrer dans l’académie parce qu’ils créent souvent des œuvres qui ne s’exposent pas ou ne passent pas les portes des galeries (au sens propre comme au sens figuré). A l’inverse, les artistes connus et largement exposés se retrouvent dans des situations absurdes. Certains rachètent leurs propres œuvres pour ne pas faire baisser leur côte, d’autres reproduisent indéfiniment leurs premières créations sans jamais se réinventer, bref, le problème soulevé ici est clairement celui du marché de l’art.
Le fait de mettre un prix sur une œuvre la baisse au rang de simple produit de consommation (ou de capitalisation lorsqu’elle est achetée pour la revendre plus tard).
Il faut que les artistes cessent de penser que leur survie passe uniquement par la vente d’œuvres. Je ne dis pas que la vente de pièces est quelque chose de mal, mais cela ne doit pas être une finalité. Un artiste ne doit pas devenir dépendant de ses productions (ou de ses résidences), sans quoi il se met dans une dynamique productiviste et perd petit à petit ce qui fait le travail artistique : la liberté.
Voici une liste non exhaustive qui tente de faire le tour des différentes solutions. Et vous, qu'en pensez-vous ?
Avez-vous d'autres propositions à faire venir figurer sur cette liste ? Des remarques, suggestions ? N'hésitez pas à en parler dans les commentaires !
Commentaires
Pour aller plus loin dans la réflexion...
NastiaVoici le lien d'un article de rue 89
http://www.rue89strasbourg.com/inde...
Courage mon gars!
ManuMoi, je crois que je vais me jeter par la fenêtre....
Cela devient trop dur!