Ce billet, en deux parties (la seconde est ici) est une vision personnelle de la condition d'artiste plasticien en France. Il fait l'état de mon vécu, de mes débuts en tant qu'étudiant, de ma sortie des Beaux-Arts en 2011 et sur mon ressenti jusqu'à ce jour, soit environ 8 ans.
« Et toi, tu fais quoi ? »
Question piège, à laquelle j'ai toujours beaucoup de mal à répondre. Alors je déroule mon rituel : un petit silence de quelques secondes, une lente respiration, un sourire forcé, puis je réponds « alors moi c'est compliqué... »
Pourquoi
est-ce si compliqué d'avouer que l'on est artiste ? Pourquoi me
sentirais-je gêné d'avouer ma véritable profession, puisqu'après tout
j'ai les diplômes, le numéro de SIRET, j'ai tous les papiers qui
prouvent légalement que je suis artiste plasticien, enregistré à la
Maison des Artistes. En vérité ce malaise en cache un bien plus
profond : la profession d'artiste plasticien n'existe pas vraiment en
France.
Lorsqu'on choisit une filière artistique après le lycée,
on est prévenu dès le départ « oulalaaaaa » nous disent les conseillers
d'orientation, « oulalaaaa » nous disent nos parents, « oulalaaaa » nous
dit la société en général.
Oulalaaa parce que cette filière ne rentre dans aucune case, les conseillers ne savent pas quels documents nous donner pour nous aider à se vendre sur le marché du travail, les parents s'inquiètent de notre avenir, et c'est clairement un problème qui va se poser pour trouver sa place dans la société.
Pourtant j'ai choisi le chemin le plus sûr en choisissant une école
publique : un Master en poche et mes papiers d'affiliation à la maison
des artistes validés, me voilà totalement en règle pour faire valoir mon
métier d'artiste plasticien.
Et c'est là que les problèmes commencent...
Un peu de droit...
Si
l'on entend beaucoup parler des intermittents du spectacle qui
s'indignent (et à raison) contre la destruction à petit feu de leur
statut, il faut bien comprendre que pour les artistes plasticiens, le
statut d'intermittence des artistes du spectacle fait office d'eldorado.
Pour faire la lumière sur la précarité du régime social des artistes,
passons en revue ce qu'il se passe lorsque ce dernier facture une
création :
Sur une vente d’œuvre ou une prestation artistique de
100€ la Maison des Artistes prélève directement à l'artiste (et non à au diffuseur, celui qui paye) au titre des charges sociales 12,20€ (sachant que ce
montant a monté de plus de 2€ en deux ans seulement et que cela va
augmenter).
Sur ce prélèvement il faudra comprendre que les artistes
sont imposables dès le premier euro (revenus déclarés au titres des BNC)
et qu'il est impossible de déduire le moindre frais en régime micro BNC (le régime par défaut, sachant qu'il est possible de changer de régime mais la procédure n'est pas évidente et obscure).
En me basant sur ma propre expérience de ces dernières
années, sur 100€ que je facture je compte environ 30€ de frais réels
(entre 10€ et 50€ de frais, cela varie réellement d'un projet à
l'autre).
En conclusion, si l'on prend en compte les charges de la
MDA, les frais réels et les éventuels impôts, un artiste qui touche 100€
n'en voit qu'environ 50€ sur son compte en banque.
Les intermittents ont un système qui leur garantit, s'ils font leurs heures (ce qui est de plus en plus difficile avec les multiples réformes), une pseudo-sécurité des revenus en touchant un complément les mois où ils ne travaillent pas. Cela s'explique par un fait simple : les artistes du spectacle ont besoin de se former, de répéter, d'inventer de nouvelles choses et cela nécessite du travail, du temps, pendant lequel il faut bien manger.
Les artistes plasticiens n'y ont absolument pas le droit. L'état ne considère pas que nous ayons besoin de temps pour réaliser nos œuvres, ou alors que nous n'avons pas besoin de manger, au choix. Autrement dit nous sommes obligés de trouver des sources financières tout au long de l'année, y compris les mois où les structures culturelles sont fermées.
Si
l'on ajoute à cela l'inexistence de réglementation ou de SMIC
artistique, les plasticiens se retrouvent avec des offres de résidences
rémunérées 300€ par mois ou des expositions à peine défrayées la plupart
du temps. Entre magouilles, travail au noir et mois de complète
disette, le statut d'artiste fait très probablement partie des plus
précaires en matière de revenus financiers.
Un peu de social...
Il
y a un autre aspect de grande précarité dans le statut d'artiste
plasticien : le régime de sécurité sociale. Le statut légal de
plasticien donne accès à la cotisation retraite et à une sécurité
sociale basique. En revanche il n'y a aucun accès à une couverture d'accident du travail ni même pour les assujetis (j'y reviendrais) aux congés maladie,
parentaux ou tout autre forme dont peut jouir
n'importe quel travailleur en France. C'est un statut classique de
profession libérale : si t’es malade c’est ton problème !
Cependant, si un plasticien ne dépasse pas un certain montant dans l'année (8 487 € en 2013), il ne peut pas prétendre à être affilié à la Maison des Artistes et donc ne dispose d'aucune couverture sociale. C'est le statut d'assujettissement (il y a deux statut : affilié - couverture maladie et parentale - si on dépasse le plafond de 8 487 €, ou assujetti si ce plafond n'est pas dépassé). Vous avez mal au crâne ? C'est normal !
Un peu de littérature avec Kafka
Les soucis légaux se sont encore corsés pour moi lorsque j'ai du pointer au Pôle Emploi durant quelques mois suite à la fin d'un CDD (que j'exerçais en même temps que mon activité artistique). Je me suis retrouvé dans une situation où plus je travaillais, plus je perdais d'argent.
Le principe est simple, sur une allocation chômage forfaitaire, Pôle Emploi me retirait l'intégralité de ce que je touchais en tant qu'artiste plasticien. Normal me direz-vous ? Absolument pas !
Tout d'abord mes allocations chômage ont été calculées sur mes revenus salariés, mais sans prendre compte aucunement de mes revenus artistiques (c’est assez normal). Pourtant, dès lors qu'il fallait me verser du chômage, curieusement mes revenus d'artiste auteur étaient intégrés dans l'équation pour les retirer de ce que je touchais. Il y a là quelque chose de contradictoire.
Ensuite, Pôle Emploi me retirait
l'intégralité de mes revenus artistiques bruts (sans enlever les charges
donc). Sur un mois où je devais toucher 900€ de chômage, si je
percevais la même somme en tant qu'artiste je ne touchais rien de Pôle
Emploi. Sauf que, comme je disais plus haut, il n'y avait que la moitié
qui finissait sur mon compte, soit 450€. Difficile, même à Lorient, de
vivre avec ça ! Lorsque j'ai exposé le problème à mon conseiller Pôle
Emploi, j'ai eu une réponse très éloquente : « Et bien monsieur, il faut
arrêter de travailler ! »
Argument indiscutable...
[EDIT] Suite à une information du CAAP, il semblerait que cette situation soit en partie illégale. Le Pôle Emploi, mal informé sur la question, a tendance a confondre les revenus d'artiste auteur avec d'autres types de revenus. Pourtant, les revenus perçus par un artiste au titre de droit d'auteur ne doivent pas être pris en compte. Pour les artistes concernés par le problème, il faut immédiatement contacter votre conseiller Pôle Emploi et lui exposer la situation. Pour plus de détails je vous recommande la lecture de l'article du CAAP : http://caap.asso.fr/spip.php?article229 .
Une petite
anecdote supplémentaire : lorsqu'un artiste s'inscrit au Pôle Emploi, il
doit cocher une case particulière sur le formulaire de demande
d'enregistrement. Cette case indique qu'elle doit être cochée si le
demandeur fait partie d'une des situations suivantes : artiste (nous),
immigré récemment entré au pays ou détenu récemment libéré. Un bel
exemple de là où la société nous place.
Pour conclure
La forte dégradation sociale de ces dernières années (accélérée sous Nicolas Sarkozy, mais maintenue à pleine vapeur par le gouvernement actuel) a logiquement fait trinquer les couches les plus précaires de la population. L'entêtement absurde à s'aligner sur l'ultra-libéralisation Allemande (un pays où étrangement la précarité a le plus explosé ces dernières années) a forcé les gouvernements successifs à faire d'importants retours en arrière sociaux et a exposé les plus fragiles. C'est donc tout naturellement que les artistes, déjà balancés dans une absurdité juridique et sociale sans nom, ont vu très nettement leurs conditions de vie se dégrader.
L'argent a disparu des centres d'art, les subventions tombent au compte goutte et le durcissement des régimes sociaux nous prend tous à la gorge. Aujourd'hui, il est strictement impossible pour un jeune artiste de vivre de son travail sans être salarié à côté ou trouver une source de financement parallèle (aide familiale, magouille, etc...).
Il est clair qu'à ce rythme
là, il n'y a plus aucun avenir pour le statut d'artiste plasticien. Le
gouvernement ne semble pas comprendre que la culture fait partie d’un
des secteurs les plus importants financièrement et est en train de faire
mourir à petit feu ceux qui créent et entretiennent la culture
française.
Voilà donc toutes les raisons qui font qu'aujourd'hui, lorsque l'on me demande ma profession, je ne sais pas réellement quoi répondre. Dois-je avouer, un peu gêné, que je suis artiste, c'est à dire une personne qui, aux yeux de la société, à la même valeur qu'un ancien détenu ? Dois-je avouer que je vis de magouilles sociales et de travail au noir ? Dois-je avouer que malgré les nombreuses heures de travail que je fournis (ni dimanche, ni vacances) je ne touche qu'à peine de quoi payer mon loyer ? Souvent, par facilité, je préfère donner mon second travail, mon job alimentaire : « Je suis graphiste » je dis, et c'est tout…
Pour ne pas finir sur une note négative, je tente dans une seconde partie de passer en revue les perspectives positives envisagées pour améliorer notre condition.
Commentaires
Merci Thomas de clamer à haute voix notre situation!
NastiaLes prochains étudiants sortant ont besoin d'être prévenus, les artistes de se sentir concerné et le SNAP - Syndicat National des Artistes Plasticien - pourrait (par exemple) nous aider à se battre et à construire un vrai statut.
Pour ma part, je fais encore pleinement partie de la nouvelle génération d'artiste, je suis encore outrée des magouilles, je rêve encore de pouvoir vivre de mon art...et je m'inquiète pour plus tard! Je ne veux pas, désabusée devoir vivre à l'étranger ou animer des interventions arts plastiques pour les réformes scolaires!
Bonjour,
un ami m'a passé le lien vers votre article, un peu paniqué, et je dois dire qu'après l'avoir lu, je trouve que vous noircissez énormément le tableau à coup de grosses approximations. Je crois qu'un grand nombre des aspects sociaux/fiscaux du fonctionnement d'une entreprise/d'un entrepreneur vous échappe.
Vous mélangez allègrement statut social/statut fiscal ; chiffre d'affaire/bénéfice...
Franchement, j'ai l'impression que vous voulez le beurre et l'argent du beurre. Certes la MDA n'est pas l'administration la plus simple et la plus facile à contacter, elle est régulièrement très très en retard dans les dossiers, mais on bénéficie à l'inverse d'un des taux de cotisation les plus bas en France, plus bas que les salariés, et très loin de ceux des indépendants URSAFF. Allez vous déclarer indé à l'URSAFF, revevoir les appels du RSI alors que vous n'avez pas rentré un centime mais qu'il faut déjà payer... et vous allez voir que la MDA, c'est plutôt cool en comparaison.
Je vous invite à visiter le forum de Kob-One (http://www.kob-one.com/) et de lire le livre de Julien Moya (Profession graphiste indépendant) même si vous n'êtes pas précisément graphiste parce que tout le coté fiscal/social de la maison des artiste y est très bien expliqué. Ces deux entité m'ont permis de me lancer à mon compte de manière sereine.
Je vais pas partir dans une explication point par point, mais enfin, je trouve un peu abusé votre position consistant à râler parce que vous devez payer des charges sociales. TOUT le monde doit payer des charges sociales. Un salarié les payes environs 25% > c'est la différence entre un salaire BRUT et NET. Un indépendant hors MDA est plutôt à 48%. Alors nous avec nos 16% hein... C'est pas au client de payer, c'est a vous, puisque VOUS cotisez pour VOUS (VOTRE retraite, VOTRE assurance maladie etc...). Le client il paye lui pour sa PROPRE cotisation, il va pas payer en plus pour les votre...
Si vous trouvez que votre revenus est trop bas car ne prenant pas en compte vois frais professionnels et/ou le temps passé à créer vos oeuvres, excusez moi de vous le dire, mais vous êtes un mauvais gestionnaire d'entreprise. Vous n'avez pas calculé votre seuil de rentabilité et vous ne facturez pas assez cher vos créations.
...
Il y aurait encore d'autres détails à discuter sur votre vision du problème.
Je vous laisse le soin de me contacter si vous voulez en discuter. Mais le forum kob-one il est très bien aussi
Enfin en attendant, faite attention parce que vous difusez des énormités... :/
Armo@Armo : attention, je ne me plains nullement de payer de cotisations, je me plains d'en payer pour rien, ce qui est très loin d'être une énormité : c'est la réalité.
Je paierai des cotisations avec plaisir si cela me permettait d'être serein sur ma situation sociale ce qui n'est aucunement le cas, actuellement en tant qu'assujetti la MDA ne m'offre aucune couverture sociale (je fais mes trimestres et c'est tout).
Par ailleurs, ce n'est pas parce que certains statuts semblent encore plus précaires qu'il faut chanter les louanges de la MDA ! Ce n'est pas parce qu'il existe des aveugles que les borgnes baignent dans l'allégresse...
Et questions approximations, comparer fiscalité d'un salarié et d'un travailleur indépendant en est une belle. Un travailleur indépendant doit se payer tout seul comme un grand ses vacances, ses arrêts maladies, ses congés parentaux, ses déplacements, etc, d'où le taux de cotisation bien plus bas. Rien à voir avec ce qui se passe avec un salarié (niveau impôts c'est aussi totalement différent). Ce sont des statuts tellement éloignés qu'il est impossible de les comparer aussi facilement.
Je vous invite à relire en détail ce que j'ai écrit car je n'ai nullement mis en cause le fait de payer des charges sociales, mais bien leur absence de couverture digne de ce nom.
La partie consistant à revoir mon business model est prise d'une bien mauvaise foi. Un artiste N'EST PAS un gestionnaire d'entreprise et celui qui ne fait ni peintures ni tableaux n'a pas grand choses à vendre (on vend comment une vidéo ou une performance ?). Décider de sa pratique artistique en fonction d'un seuil de rentabilité est tout sauf être un bon artiste.
Mais connaissez-vous seulement le fonctionnement de la rémunération des artistes ? Il semble que vous pensiez que nous "vendons des œuvres". Pour un artiste actuel, le gros des revenus provient de résidences, expositions ou ateliers de médiation, des formes où le "salaire" n'est fixé par personne d'autre que l'institution (et vu les restrictions budgétaires actuelles autant dire que c'est vraiment ridicule).
Par ailleurs, si vous voyez des soucis avec d'autres points, n'hésitez surtout pas à les poser dans les commentaires !
ThomasBonjour Arno,
NastiaMerci pour ton retour et pour le partage de ta vision. J'ai l'impression que tu as quelques références et expériences pour mener à bien ton business model. Là où je ne peux plus être d'accord c'est avec ce genre de phrase qui semble provenir d'un autre monde >
""(VOTRE retraite, VOTRE assurance maladie etc...). Le client il paye lui pour sa PROPRE cotisation, il va pas payer en plus pour les votre...""""
Je n'est JAMAIS entendu parler d'une retraite pour les artistes et l'assurance maladie pour un assujetti à la MDA est bien difficile à obtenir...! Parlez-vous d'un domaine qui vous concerne ou pour lequel vous n'avez aucune connaissance?
Si vous avez des infos contraires je pense que de nombreux artistes seraient heureux d'être informé en détail...
Bonjour et merci pour l'article.
Juste une remarque (ou question) concernant le passage suivant... :
"Tout d'abord mes allocations chômage ont été calculées sur mes revenus salariés, mais sans prendre compte aucunement de mes revenus artistiques (c’est assez normal).
Pourtant, dès lors qu'il fallait me verser du chômage, curieusement mes revenus d'artiste auteur étaient intégrés dans l'équation pour les retirer de ce que je touchais. Il y a là quelque chose de contradictoire."
...je pense que vous vouliez dire "cotisations chômage" à la place de "allocations"
- cotisations = ce que vous payez (1ere phrase)
- allocations = ce qu'ils vous payent (2e phrase)
c'est taré en effet...
Christina(heureusement qu'il y a l'édit, mais je n'ai pas encore suivi le lien)
Cordialement
christina
monsieur thomas, je te rejoins assez bien dans le jugement, en fiscalité tout le monde se retrouve, tu as un siret, tu déclare en bnc, rien de plus basic etc... Quant au statut social je me verrais mal apposer une plaque en bronze à la porte de ma cabane avec mon nom et mes diplomes genre chirurgien & doc es'science en art plastique comme tous les docteurs du coin. Je ne me moque pas, oui un artiste n'éxiste pas, car qui voudrait d'un chien qui mord, à la question, c'est vous l'artiste? je réponds c'est vous qui le dite, et pour cause, car c'est un généric, regarde en music, au théâtre, l’intitulé de leur fonction circonscrivent leur statut, un plasticien et bien fait du plastique, il y a tellement d'erreur sémantique, en tout cas pour faire bref, quand tous les trois ans je fais une expo en ma galerie, pour 100 euros de vendu, par contrat moral 50 pour-cent est acquis par la galerie, puis elle me défalque un taux de tva à 5,5 je sais plus, qu'elle reverse qq part mais en tout cas cette taxe fait mal, puis sur le chiffre d'affaire de l'année la galerie est dans l'obligation de verser non une taxe mais une sorte d'abonnement à la maison des artistes, dans laquelle je refuse de m’affilier depuis mes commencements, je préfère être un bandit du verbe et du borderline, qu'un artiste en complet cravate, tout ça est fadaise, je finis, oui, les artistes n'existent pas, mais des poètes il y en a
lecomte