Les Kamishibaïs naquirent dans les années 1930 au Japon. Ils étaient des milliers à parcourir les routes jusqu'en 1960 avant que la télévision n'arrive. Conteurs à vélo, ils se rendaient de village en village équipés d'un castelet en bois appelé butaï dans lequel ils glissaient des aquarelles en papier.
On les nommait couramment « oncles kamishibaïs » ou « kamishibayas ». Lorsque l'un d'eux s'installait au coin d'une rue et agitait ses hiyogishis (batons à applaudir), tous les enfants du quartier accouraient. On permettait à ceux qui achetaient des patates douces ou des bonbons en guise de tickets de se placer devant.
Une vingtaine d'images se succédaient dans le cadre du butaï accompagnées de la voix du conteur. Tout l'art de ce dernier résidait dans la manière de faire se succéder les plans selon le rythme de l'histoire. Parfois, rester un long moment sur un seul dessin augmentait le suspens tandis que l'émotion pouvait être précipitée par le glissement prompt de la scène suivante.
Cette technique fut reprise par Tesuka et Sakamoto lorsqu'ils réalisèrent le célèbre et premier manga télévisuel, Astro le petit robot en 1963. Les deux illustrateurs ne disposant pas des moyens des studios Disneys, jouaient de longs arrêts sur images et réutilisaient des plans limitant ainsi la quantité de dessins à produire.
L'art du Kamishibaï s'inspire de la peinture traditionnelle japonaise et occidentale. Il emprunte à cette dernière le clair obscur auparavant absent de la représentation japonaise. Le cinéma apparu en 1895 fit connaître la culture occidentale en Asie et les artistes de Kamishibaïs s'en nourrirent énormément. Ainsi, de nombreuses aquarelles reproduisent le cadrage cinématographique.
Dés le milieu des années 1960, le gouvernement s'inquiète de l'influence de cet art populaire sur la jeunesse. Une enquête révèle qu'un quart des écoliers assistent à plus de deux spectacles de Kamishibaïs par jour. Ils sont alors interdits aux abords des écoles et dans de nombreux quartiers. On leur reproche de détourner de l'étude et des bonnes mœurs les enfants et de générer des attroupements dans les rues. On dit aussi que les bonbons aux couleurs vives que vendaient les kamishibaïs étaient mauvais pour la santé des marmots qui se les passaient de mains en mains.

Après cette interdiction, les contes de Kamishibaï furent plus formatés. Des sociétés appelées kaï produisaient des images de propagande pendant la guerre. La reproduction industrielle sur papier rationné de dessins permis au gouvernement de diffuser en Mandchourie (partie de la Chine occupée) une image positive des soldats japonais. Le Kamishibaï était aussi utilisé comme journal du soir par l'agence de presse Asahi qui innovait en combinant photographies et dessins.
D'autres sociétés créèrent des Kamishibaïs éducatifs, parfois religieux. Les Alliés qui occupaient le Japon jusqu'en 1952 mirent en place des bureaux de censure. Les récits de ninjas étaient remplacés par le football, la science fiction et les histoires comiques. Les censeurs veillaient à ce que la catastrophe d'Hiroshima ne soit évoquée sous aucun prétexte.
La tradition du récit par l'image est quelque chose de très présent au Japon, peut-être parce que l'imprimerie est arrivée plus tard qu'en Occident. Les mangas japonais conçus pour que le lecteur ne passe pas plus de trois secondes par page en sont un exemple flagrant.

Des foules se réunissent en plein air pour regarder la télévision à ses débuts.
C'est donc avec l'arrivée de ce que les spectateurs appelèrent le « kamishibaï électrique » que disparu ce médium fabuleux à la frontière des arts visuels et du théâtre d'objets. En 1953, environ huit cent téléviseurs étaient présents sur les places publiques. Dix ans plus tard, il ne reste peu de conteurs à vélo. pour les derniers qui s’entêtent à parcourir le pays, il est alors bien difficile d'attirer les enfants dans la rue tandis que quatre millions et demi de téléviseurs se sont invités dans les foyers individuels.
Bibliographie:Manga Kamishibaï
Du théâtre de papier à la Bd Japonnaise, EricP. Nash, Edition de La Martinière, 2009
La Boîte magique : le théâtre d'images ou kamishibaï : histoire, utilisations, perspectives, Strasbourg, Callicéphale, 2007
Commentaires
Merci beaucoup pour cette découverte très complète !
Intéressant aussi de voir l'évolution de l'image japonaise au cours des siècles.
Le plus amusant est de se rendre compte que les médias occidentaux ont, en apparence, tué ces formes artistiques, mais qu'aujourd'hui, ce sont leurs formes qui nous influencent : les techniques d'animation (ré)inventées par Tesuka (directement issues des Kamishibai) sont aujourd'hui la norme en animation occidentale et même au cinéma (les films a gros effets spéciaux utilisent ces techniques).
C'est sans doute là la force de la culture japonaise (et orientale même) : ingérer totalement la culture occidentale qui est imposée et réussir à la digérer pour faire renaître de nouvelles formes.
ThomasBonjour Soazic,
Le GuillantonMes parents sont passés en Bretagne en famille début juin et ils m'ont ramené la coupure de presse : "Soazic choisi l'itinérance à vélo pour dévoiler son art", je suis moi même en route pour un projet d'itinérance à vélo avec le zen , ma clowne et mes chansons.Je viens de temps en tant en Bretagne mais, ma zone géographique majeure est plutôt Paris-Normandie. Si tu as une adresse mail, tu peux, si tu le souhaites, me la communiquer et, un jour ou l'autre, nous trouverons, j'en suis sûre, un point de jonction pour échanger sur nos expériences. Bonne chance pour cette itinérance artistique et, je prends le relais du Havre à Lyon( la date ou tu rentreras sera, pour moi, la date du début du périple..). Je te souhaite de belles rencontres et bon voyage!
Nathalie L.G
le.guillanton.nathalie@gmail.com
nathalieleguillanton.wordpress.com